ESG
ESG: vers une approche multifacette
L’intégration des critères ESG dans les pratiques des entreprises marocaines progresse. Toutefois, il y a de nombreux secteurs qui hésitent encore à s’y mettre. Salah Eddine Bennani, Partner à Forvis Mazars, analyse les enjeux de durabilité pour les entreprises marocaines.
Les 500 Global a publié dans son édition 2023 un premier aperçu sur les critères ESG au Maroc. Forvis Mazars avait contribué à l’analyse des données collectées. Donnez-nous un aperçu de ces conclusions ?
L’enquête de la précédente édition a montré que de plus en plus d’entreprises marocaines, cotées en bourse ou non, mettent en place des mesures ESG ou une démarche RSE. Je rappelle que l’étude était menée auprès de 137 entreprises ayant mis en œuvre au moins une initiative en matière de durabilité, de divers secteurs d’activité. Le sondage avait ressorti des niveaux de maturité différents entre les entreprises selon leur secteur d’activité et selon la part des exportations dans leur chiffre d’affaires : globalement, entre 2/3 et 3/4 des entreprises participantes (Industrie / Commerce / Services) déclaraient intégrer des critères ESG et/ou avoir une démarche RSE. Le secteur de la finance se distinguait par une maturité supérieure : 100% des entreprises de ce secteur déclaraient avoir une démarche RSE. En revanche seulement 1/2 des entreprises participantes, tous secteurs, avait mesuré son empreinte carbone. Il est également apparu que les entreprises exportatrices et les filiales de multinationales étaient plus engagées dans la prise en compte des critères ESG.
A la lecture du classement des 500 Global 2024, il semblerait que seules les sociétés exportatrices et filiales de multinationales prennent très au sérieux le sujet. Comment selon vous faire avancer cette question dans le cercle des grandes entreprises ?
D’abord, le sondage 2024 réconforte les tendances relevées en 2023 avec une évolution positive : un nombre plus important d’entreprises participantes et une proportion plus élevée des entreprises déclarant avoir une démarche RSE ou intégrant les critères ESG. En même temps, les résultats se confirment également quant à la proportion relativement limitée des entreprises ayant évalué leur empreinte carbone (globalement 1/2, mais uniquement 39% des industrielles) et de celles ayant basé leur démarche RSE sur une analyse de matérialité (1/2).
Les grands exportateurs, le secteur financier et les entreprises cotées en bourse se démarquent, en effet, avec des niveaux d’engagement plus élevés comparativement au reste de l’échantillon. Cette avance peut s’expliquer par plusieurs facteurs. Le premier réside dans le fait que ces entreprises doivent répondre aux enjeux de durabilité et aux attentes croissantes de leurs parties prenantes, notamment les clients, les investisseurs et les bailleurs de fonds. Le levier réglementaire (national et international) reste déterminant pour la mobilisation effective des entreprises dans une démarche de durabilité. Sur ce registre, il y a lieu de noter l’accélération de la réglementation européenne, en particulier la CSRD et la CSDDD qui revêtent un caractère transnational et s’appliquent non seulement aux entreprises opérant sur les territoires de l’UE mais aussi à toutes les entreprises à travers le monde qui ont des liens commerciaux ou financiers avec le marché commun ou avec toute entreprise qui rentre dans le champ d’application de ces directives européennes.
Par ailleurs, il n’en demeure pas moins que de plus en plus d’entreprises marocaines adoptent une politique volontariste en matière de durabilité parce qu’il y a une prise de conscience sur ce sujet.
Ceci dit, on constate en général une faible connaissance du sujet et une faible conscience de l’intérêt économique (voire stratégique) que la durabilité représente pour les entreprises, grandes ou petites. Pour faire avancer la durabilité au sein des entreprises marocaines, il est nécessaire de coordonner une approche multifacette, combinant sensibilisation, formation, accompagnement et réglementation.
En quoi l’ESG doit-il constituer un levier de développement pérenne pour les entreprises ?
La durabilité est en effet une démarche stratégique et non seulement une réponse à des exigences de reporting ou de communication. Elle se fonde en premier sur une gestion des risques : identifier, comprendre, analyser et évaluer les risques encourus par l’entreprise sur les dimensions environnementales, sociales et de gouvernance ainsi que les dégâts que l’entreprise génère, et d’implémenter les mesures de remédiation appropriées. La durabilité c’est aussi une identification et une exploitation des opportunités que recèlent les différents enjeux adressés et les attentes des parties prenantes internes et externes. Et ce, a minima sur des plans opérationnels et tactiques. Sur un plan stratégique, des transformations business peuvent naître et représenter un avantage compétitif à court ou à moyen termes, voire un tourant vital pour certaines activités !
Quels sont les sujets clés à adresser en 2025 en matière de durabilité pour les entreprises ?
De mon point de vue, je retiendrais 3 sujets fondamentaux à adresser :
1. Les entreprises ont besoin de dresser leur bilan en termes de durabilité et de rendre leur approche en la matière plus scientifique. Cela revient à mener, d’une part une analyse de double matérialité (matérialité financière et matérialité d’impact) pour identifier et cibler les enjeux significatifs à adresser dans une stratégie RSE pertinente, et d’autre part un bilan carbone pour mesurer et distinguer leurs inducteurs de GES (gazes à effet de serre) et objectiver leurs plans d’efficacité énergétique et de décarbonation.
2.Les entreprises ont besoin d’entamer une étude sérieuse de leur risque climat à différents horizons temps (ex : 2040 / 2050) car les plans de transition peuvent requérir des investissements importants ou des transformations d’activité à mener sur 10-15 ans.
3.Les entreprises ont besoin de situer leur niveau d’exposition aux réglementations CSRD et CSDDD et de situer, par conséquent, le calendrier nécessaire pour s’y préparer.
Par ailleurs, le secteur financier devrait jouer un rôle plus actif dans la sensibilisation et l’accompagnement des entreprises en vue de les préparer aux évolutions majeures qui façonneront le secteur : recensement et évaluation des risques climatiques, intégration des critères ESG dans les produits financiers…
ESG: vers une approche multifacette